Près de Madrid, sur une colline de la Sierra de Guadarrama, il est un gigantesque mausolée surmonté d’une monumentale croix de pierre visible à des kilomètres de distance. Qui pourrait croire dans l’Espagne démocratique d’aujourd’hui que ce mausolée - une basilique en fait - abrite les tombes de Francisco Franco fossoyeur de la République et de Jose Antonio Primo de Rivera fondateur du mouvement fasciste de la Phalange. A l’intérieur, quatre immenses statues, allégories représentant l'armée de terre, de l'air, la marine et les milices forment une sorte de garde prétorienne figée dans son éternité de pierre.
A Montauban, à l’ombre d’un thuya il y a une petite tombe discrète, effacée, comme blottie entre deux imposants caveaux qui la cachent et la protègent. Qui le croirait ? Cette tombe sans ostentation ni decorum est celle d’un Président de la République, Manuel Azaña, dernier Président de la brève République espagnole dont l’histoire tourmentée s’acheva officiellement le 01/04/1939 .
La guerre civile avait commencé le 17 juillet 1936, à Melilla, enclave espagnole en territoire marocain par un soulèvement militaire, qui avait ensuite gagné différentes régions espagnoles en Galicie, en Castille-León, en Navarre, avec le general Mola à Pampelune, dans l’Ouest de l’Andalousie avec Queipo de Llano à Seville, et à Grenade où fut alors assassiné le poète Federico Garcia Lorca, aux Canaries avec Francisco Franco qui rallia ensuite les troupes cantonnées au Maroc. Pendant ce temps, le gouvernement républicain semblait hésiter sur les mesures à prendre contre les putschistes. La résolution des adversaires, la capacité de mobilisation des syndicats ouvriers, le rôle de la Guardia civil sont autant d’éléments qui influèrent sur la suite des événements. Le soulèvement échoua en effet dans d’autres régions et surtout à Madrid où le pouvoir distribua des armes aux milices ouvrières, et à Barcelonne où grâce à la collaboration inattendue des syndicats ouvriers et de la Guardia civil, l’insurrection avorta. Si l’on excepte la Navarre et la Castille Leon, le soulèvement eut peu de soutien populaire et fut le fait des forces armées dont Franco s’imposait comme le chef.
L’échec partiel du coup d’état provoqua la partition du pays en deux . Chaque camp contrôlait des zones riches en agriculture et industrie, mais les putschistes avaient indéniablement pour eux une évidente supériorité militaire, comptant dans leurs rangs l’encadrement (majoritairement rallié à la rébellion) et des divisions entières qui allaient avoir, de surcroît, le renfort de forces armées de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste (en face les républicains recevraient l’aide des célèbres Brigades Internationales constituées de volontaires de différents pays).
C’est dans ce contexte de guerre civile et de délitement des institutions que Manuel Azaña assuma la fonction de Président de la République.
L’homme a eu et a toujours des détracteurs, en raison de ses actes ou de sa personnalité. C’était un républicain, laïc fervent dont la politique radicalement anticléricale lui vaut encore aujourd’hui la haine tenace des nostalgiques d’une Espagne dominée par l’Eglise. C’était un intellectuel à qui ses propres compagnons reprochèrent son manque de fermeté et son renoncement à la lutte lorsque, impuissant devant les dissensions du camp républicain, et l’avancée des nationalistes, il jugea la défaite de la République inéluctable et plaida pour une négociation de paix. En février 1939 enfin, peu avant la chute de la Catalogne, il quitta l’Espagne. Il ne devait jamais la revoir car il mourut en exil, à Montauban, le 3 novembre 1940.
Et c’est là qu’il fut enterré.
Etrange qu’il soit là si loin de son pays, ai-je pensé devant sa tombe. Mais peut-être pas si étrange après tout, si l’on pense au commentaire de l’historien Fernando Garcia de Cortazar qui dans son beau livre consacré aux mythes de l’Histoire d’Espagne, écrit à propos d’Azaña : « Il écrivit toujours parce qu’il avait l’intuition que le seul vrai pays qui lui restait c’était l’Europe de toutes les diasporas où des millions d’expulsés et de fugitifs avaient connu le destin qui le conduirait, lui, à mourir à Montauban le 3 novembre 1940. Parce qu’il pensait qu’il fallait laisser un homme là où il était tombé. Parce qu’il pensait que les seules cendres qui devaient être remuées c’étaient les idées de l’être humain disparu ».
Cette petite tombe si discrète, c’est le symbole de l’exil, de la douleur de voir sombrer ce en quoi on a cru, de la perte de ce(ux) que l’on a aimé(s) mais aussi de la permanence des idéaux, de la fidélité des hommes à ces derniers, de la mémoire…et du renouveau.
Car à Montauban, des mains amies prennent soin de la tombe de Manuel Azaña et recueillent les messages déposés par les visiteurs de plus en plus nombreux, nous a-t-on dit. Une association veille sur sa mémoire et celle des républicains en exil. Que tous en soient remerciés.
Tina,
Naine commémorative
La libertad no hace felices a los hombres, los hace sencillamente hombres.
La liberté ne rend pas les hommes heureux, elle les rend simplement hommes.