Dans la catégorie "sus aux erreurs de pensée", un article par Jan Ross*, publié le 15 octobre 2009 dans l'hebdomadaire allemand Die Zeit, s'attaque de manière analytique aux moteurs et erreurs de perception et d'interprétation, aux États-Unis comme à l'étranger, en ce qui concerne l'action politique menée par Barack Obama, et partant, l'homme lui-même, puisque le leitmotiv des critiques dont il fait l'objet se rapporte au vocabulaire psychologique : il est en effet régulièrement question de la prétendue "indécision" de Barack Obama au niveau politique, et par extension, de la "faiblesse" dont il ferait preuve dans la fonction qui est la sienne...
Partout dans la presse, on peut lire que l'attribution à Barack Obama du prix Nobel de la Paix, loin de le soutenir dans sa démarche politique, constituerait plutôt une pierre dans le jardin géopolitique du président américain : finis les beaux discours, dorénavant, il s'agirait d'afficher des résultats! Les critiques fusent de toutes parts : pour certains, Obama n'en fera jamais assez et reste une promesse non tenue, pour les autres, notamment ses détracteurs Républicains, il pratiquerait une politique d'affaiblissement des États-Unis.
Et justement, dans les discours souvent haineux qui dénoncent l'attribution du prix Nobel de la Paix à Obama sous prétexte qu'il plairait aux Européens désireux d'une "Amérique affaiblie, castrée, et c'est [le prix Nobel de la Paix] leur manière de propager cette idée", dans cette exagération des blâmes proférés contre le président américain par les néo-conservateurs, se trouve la mélodie de fond qui sous-tend la critique typique de la droite américaine : cette exigence "des actes, pas des mots "", la peur de la "faiblesse", l'attente d'un acte libérateur, alors que même ses amis ont trouvé que l'attribution du Prix Nobel de la Paix à Obama était bizarre.
Mais voilà : comme le dit Jan Ross dans son article, "il y a une erreur de pensée fondamentale dans l'exigence de résultats qu'Obama se devrait enfin de délivrer, dans les doutes exprimés sur sa force et sa fermeté. On utilise ici les critères d'autrefois, les lois d'un monde disparu." Et Ross continue en expliquant qu'en effet, ce n'est pas la prétendue indécision de Barack Obama qui serait responsable de la modestie des succès remportés jusqu'ici et que la résistance du monde aux volontés américaines "n'a rien à voir avec les qualités personnelles du président américain, mais en réalité avec la perte historique de la puissance des États-Unis (et de l'Ouest en général). Nous voici donc face à un processus historique dans lequel Obama a été propulsé, dont il est l'expression et qu'il doit maintenant gérer".
Fini le temps où les occidentaux réglaient les problèmes entre eux, où les États-Unis pouvaient n'en faire qu'à leur tête et ignorer les exigences du reste du monde (comme ce fut le cas pour la guerre en Irak en 2003), puisque plus rien ne se fait dorénavant sans la Chine ou l'Inde. Dans la crise avec l'Iran par exemple, comme dans celle du Moyen-Orient, sans oublier la crise économique mondiale, il convient de s'assurer la coopération de tous les pays susceptibles de peser dans la balance.
Et le journaliste allemand de conclure avec perspicacité: "il serait illusoire d'imaginer qu'un président américain n'a qu'à taper du poing sur la table pour faire disparaître ces déplacements de pouvoirs. Croit-on sérieusement qu'un président McCain "volontariste" ou une présidente Clinton plus axée sur "des faits, pas des mots" auraient poussé vers la sortie le président frauduleusement élu Ahmadinedjad ou qu'ils auraient amené les jeux olympiques à Chicago ? Toute cette rhétorique "de commandement" n'est qu'une gesticulation avec des épées en plastique.
Jan Ross va même plus loin en affirmant que les critiques des opposants au président Obama dans son pays obéissent à la tactique du "refoulement" : il s'agit en effet de rendre Obama, ses idées et son milieu social responsables de la crise, afin d'éviter de regarder en face la reálité amère du déclin historique. "Mais que dans le reste du monde, il y en ait tant qui eux-mêmes intériorisent de cette perspective, voilà en revanche qui est surprenant", nous dit-il.
La leçon qu'en tire le journaliste allemand est intéressante et l'on devrait y réfléchir, surtout ceux qui ont intériorisé la perception d'un Obama "faible" et "indécis". Jan Ross nous dit ceci : "la déception face à un Obama "faible" et "incapable de fournir des résultats" nous fait oublier un peu vite quel genre d'espoir avait été mis en lui. Non, comme aiment à le répéter les détracteurs d'Obama, que ce dernier, tel un messie, éradiquerait le Mal de ce monde. Mais qu'avec le nouveau président des États-Unis, un minimum de raison pourrait réintéger les rapports internationaux, que la température globale de la crise baisserait et que les États-Unis s'adapteraient à la réalité modifiée du 21e siècle - à la réalité de sa propre perte de puissance." Et à en croire le journaliste, c'est bien une présidence à la mesure du changement historique vécu par les États-Unis que nous avons actuellement : le destin du "dirigeant du monde libre" est co-décidé par le reste du monde, notamment parce que seuls des succès internationaux pourront protéger Obama contre les reproches de son opposition nationale selon lesquels il braderait le destin de l'Amérique.
Pour cette raison, les mots martelés par Obama ne sont pas anodins : en effet, comme le rappelle Jan Ross, "Quand Obama dit que les États-Unis ne peuvent pas porter seuls sur leurs épaules les fardeaux du présent et de l'avenir et qu'ils ont besoin d'être aidés, il ne faut pas y voir une simple façon de parler. Ce dont notre époque et la présidence d'Obama ont besoin, c'est d'un travail d'équipe ("teamwork") au niveau mondial."
Comme disait l'autre : "Alea jacta est."
*Article de Jan Ross dans Die Zeit, intitulé: "L'impuissance du plus puissant" ("Die Ohmacht des Mächtigsten")