Il suffit de lire quelques articles de la presse allemande pour se rendre compte que la politique étrangère de l'Union européenne au Maghreb s'est calquée au fil du temps sur la politique française qui, avançant les arguments de la proximité historique avec ces pays, revendiquait son expérience en la matière.
Il faut dire que jusqu'ici, l’Allemagne a poursuivi ses intérêts en Afrique du Nord à pas plutôt feutrés. Il était si aisé de laisser la direction européenne des affaires au Maghreb à l‘ancienne force colonniale française, dont on supposait qu’elle connaissait traditionnellement bien le terrain.
Mais après le désastre de la diplomatie de la France¸ son rôle de guide dans la région s'avère particulièrement remis en question.
Depuis au moins une semaine, c'en est fini de l'aveuglement de nos pays voisins, la France s'est mise hors jeu, ne serait-ce que par la légéreté voire l'inconscience avec laquelle ses représentants officiels, de l'Ambassadeur de France à Tunis à la ministre des Affaires étràngères, ont traité la question. Et il ne faut pas s'étonner de voir la guillotine journalistique teutonne s'abattre ainsi sur la politique étrangère française (Die Zeit du 20 janvier 2011- J. Bittner/J. Lau) :
"Dorénavant, le gouvernement de la France a honte de sa proximité passée avec le dictateur déchu.
Trois ans ne se sont pas encore écoulés depuis que le président français Sarkozy recevait en grande pompe, au nom de l’UE, toute une kyrielle de monarques et de dictateurs de ces pays, pour participer côte-à-côte au défilé annuel du 14 juillet, censé fêter la naissance des Droits de l’homme. En 2008, le président a déroulé le tapis rouge pour recevoir les dirigeants arabes et fêter la naissance de l’Union méditerranéenne! De cette coopération renforcée avec des autocrates", [ndlr.: entreprise considérée d’ailleurs d’un mauvais oeil par le gouvernement de Merkel – pour des raisons purement de rapports de forces au sein de l'UE], "l’UE tablait sur des État mieux gouvernés le long de la côte africaine et moins d’immigration et elle promettait en échange aux partenaires des milliards en programmes de développement . Au coeur de cette stratégie prédominait le parti-pris que l’on avait à faire à des dirigeants réformateurs…"
Conclusion des auteurs de l'article :
"Il faudra bien, à Paris comme à Bruxelles et à Berlin, repenser l’attitude à avoir avec cette région du monde."
Il paraîtrait, à lire Die Zeit, que la Suède et les autres états scandinaves ainsi que la Grande-Bretagne réclament des signes forts et clairs pour que l’Europe se prononce en faveur de la démocratisation en Afrique du Nord, tandis que Berlin souhaiterait que l’UE salue avec plus d’enthousiasme le début d’une „nouvelle ère“ en Tunisie.
Les diplomates allemands seraient également impatients que Catherine Ashton, la représentante des affaires étrangères de l’UE, se rende incessamment en Tunisie.
Certes, il ne s'agit pas, pour un État démocratique ou pour l'Union européenne, de se muer en association caritative, mais la morale ne devrait pas être absente du réalisme politique, même si elle peut entrer en conflit avec la fameuse "Realpolitik". Et c'est bien là que le bât blesse.
En effet, c'est sur la crédibilité morale de l'UE, née des expériences douloureuses de la Seconde guerre mondiale, que repose l'influence de l'UE. C'est sa force. Mais ses États qui la composent, sous couvert de pratiquer la culture du dialogue plutôt que du bâton, se dispensent de repenser régulièrement leur stratégie de politique étrangère et de mettre certains "points sur les i" en matière des droits de l'homme à des dictateurs qui en déduisent alors qu'ils ont carte blanche pour s'adonner à la répression et à la torture.
En quoi, comme le prouvent les derniers événements tunisiens, l'UE serait bien inspirée de comprendre qu'il vaut mieux se mettre du côté des peuples que de leurs dictateurs. Cela aussi, c'est de la Realpolitik. Et avec la morale en plus.
Fin.