Entendu hier matin, 18 février, aux infos de de 7:00 heures, sur France Inter, la correspondante du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, Michaela Wiegel, qui commentait de façon lapidaire le malaise actuel de la diplomatie française :
"L'opinion publique allemande n'accepterait pas que leurs responsables se fassent inviter par un pouvoir étranger parce qu'il y a tout-de-suite le soupçon d'un conflit d'intérêts. Le véritable problème, c'est : qu'est-ce que la France veut faire avec le changement en cours? Il faudrait que le président de la République donne une direction, ça détermine aussi le destin de son ministre des Affaires étrangères, alors que le ministre des Affaires étrangères allemand et le ministre des Affaires étrangères britannique sont déjà allés à Tunis, sa ministre française n'a pas encore pu le faire. C'est une vraie différence."
C'est sur un ton consterné (avec peut-être aussi une teinte d'ironie?) que Michaela Wiegel nous a donc expliqué que la crise, voire la paralysie actuelle de la diplomatie française, est encore aggravée par l'obstination de ses responsables refusant de tirer les conséquences de leurs actes. Mais surtout, que les politiciens ne pourraient pas se permettre un tel comportement en Allemagne parce que les Allemands ne l'accepteraient pas.
Salaud de peuple, diraient certains mal intentionnés!
On savait déjà que les Allemands ne sont pas des rigolos (c'est mon voisin qui le dit, il sait de quoi il parle, il est Allemand...), mais là, ils gâchent carrément les vacances de nos VIP! Mais, me dira-t-on, pour qui se prennent-ils, ces Allemands, de critiquer comme cela, sans y être invités, notre fine politique étrangère et sa plus illustre représentante, MAM, d'autant plus célèbre depuis sa fâcheuse virée familiale effectuée chez un puissant homme d'affaires apparemment lié à l'ancien pouvoir Tunisien au moment-même où la Tunisie était en pleine révolution pour tenter de se débarasser de son despote?
Mais voilà, nos voisins outre-Rhin s'émeuvent et nous tirent les oreilles pour essayer de nous réveiller : et la diplomatie française, dans tout cela, hein ? Où est-elle passée ? Après-tout, l'Allemagne fait partie de l'Europe, la France fait partie de l'Europe, et ce qui concerne les Français concerne aussi les Allemands. Eh bien, ils ne comprennent pas que la crise diplomatique s'éternise uniquement parce que la ministre - tout autant que son président - refuse de voir la réalité du conflit d'intérêts en face. Bref, en Allemagne, cela n'aurait pas fait long feu : le ministre en question se serait débarqué tout seul. Par "décence", sans doute. "Anständigkeitshalber", dit-on en allemand. On pourrait toujours balayer la critique en disant que les Allemands, qui pointent du doigt la pratique de la politique en France, n'ont rien compris à la fameuse "exception française", semble-t-il...
Mais l'inverse est vrai également.
On a souvent dit que, si le courant ne passait pas entre le président français et la chancelière allemande, c'est que ce président ne comprenait rien à la mentalité allemande (il suffit de rappeler les tapes dans le dos qu'il a faites à A. Merkel lors de sa première visite officielle à Berlin, she was not amused).
Pratiquer "l'Allemand", dans le texte et partout ailleurs, ce n'est pourtant pas si compliqué, même si cela pourrait poser un réel problème à la mentalité de certains de nos politiciens français : il suffit de savoir que l'Allemand (pour simplifier) est tout aussi conscient de ses droits que de ses devoirs. Et on pourrait même préciser qu'il est très conscient de ses droits à lui et encore plus conscient des devoirs des autres. Et par conséquent, cela s'applique tout autant à ses représentants locaux et nationaux qu'à son voisin de palier. Gare à celui qui est pris le nez dans la confiture! S'il a une quelconque responsabilité politique, c'est la démission automatique.
Mais en France, exception française oblige, sans doute, on ne démissione pas pour si peu. Et il semblerait même que l'on en soit arrivé à cette situation hallucinante qui veut qu'un ministre des Affaires étrangères tunisien puisse être poussé à la démission à son retour de France pour avoir trop couvert de louanges la ministre des Affaires étrangères française alors qu'il était en visite à Paris, parce que cette dernière avait proposé le fameux savoir-faire des forces de sécurité "reconnu dans le monde entier" (dixit) au pouvoir despotique en place au moment-même où les manifestants tunisiens se faisaient tirer dessus par les forces de police de leur pays. Un vrai tour de force!
Il n'en faut pas plus pour déboussoler une journaliste allemande, forte de sa notion des droits et des devoirs (cf. plus haut), et pragmatique de surcroît, comme on dit que le sont, bien entendu, tous les Allemands...
Et rien d'étonnant que, poussant la logique jusqu'à l'absurde, elle en tire la conclusion - apparemment - étonnante, selon laquelle la Ministre des Affaires étrangères du pays des Droits de l'Homme ne peut même pas représenter la France à l'Étranger.
Ce qui illustre bien la citation : "Le ridicule ne tue pas, mais il met mal à l'aise."