Dans un texte intitulé Du populisme en littérature, que l’écrivain Charles Dantzig a publié dans Le Monde du 18-19 mars 2012, une phrase m’a semblé résumer particulièrement bien l’entreprise populiste : "Les régimes populistes sont ceux qui s’entendent le mieux à paralyser le peuple en le popularisant."
En écoutant France Inter, j’ai été confrontée récemment à ce que je considère comme un exemple presque parfait - et abominable - de ce populisme qui prend les gens pour des c...
Oui, j’ai été choquée en écoutant un extrait d'un récent discours de notre président de la République, qui, lors d’un meeting tenu je ne sais plus où (nos candidats les enchaînent en ce moment comme les perles qu’ils lâchent ici et là), a ponctué à plusieurs reprises ses diatribes contre l'adversaire du moment d’un : « C’est la vérité et tout le monde le sait ! »
Choquée, oui, j’ai été, dans cette guerre des étoiles politiciennes… par l’arrogance inouïe d’un président-candidat qui prétend balayer toute éventuelle contestation de ses affirmations en invoquant, non pas les preuves de ce qu’il affirme, mais LA (fameuse) Vérité, une et indivisible, qui ne peut être que la vérité puisque tout le monde le sait que c’est la vérité.
La loi du plus grand nombre étant toujours la meilleure…
Choquée par la brutalité de cette phrase incantatoire de celui qui se veut le candidat du peuple (d’autres que moi ont fait la démonstration de l’ironie de la « chose ») contre les élites (qu’il représente en tant que chef de l’État tout-de-même), mais plus encore par son caractère insidieux en assénant au peuple que c’est (c’est quoi ?) la vérité et en lui affirmant dans le même-temps que ce ne peut qu’être la vérité puisque tout le monde le sait. Tout le monde étant les autres, donc, si toi, péquenot du peuple, tu ne le sais pas, c’est que tu es un « couillon » (pour reprendre un si joli mot dans la bouche d’un président).
Choquée de surcroît, quand, par un tour de passe-passe extraordinaire, il se dispense d’une démonstration de CETTE prétendue vérité en prenant à témoin le peuple, cet abstrait monsieur/madame « Tout le monde » dont il décrète qu’il le sait bien, que c’est la vérité, et que par conséquent, ce que le peuple sait, le président le dit. Et puisque le président le dit, c’est que tout le monde - le peuple - le sait.
Mais ce tout le monde est à la fois une entité abstraite (comme la Vérité) et une multitude de gens qu’il faut convaincre que ce que dit le président, c’est la vérité. Mais quelle meilleure démonstration de LA Vérité pour le candidat que de s’adresser aux parties qui ne savent pas que c’est la vérité en leur disant qu’il faut croire que c’est la vérité puisque tout le monde, c'est-à-dire les autres, savent que c’est la vérité.
Car les gens aiment avoir l’impression de savoir, même s’ils ne savent pas ce qu’est la vérité. L’essentiel, c’est de croire que l’on sait, n’est-ce pas ? L’impression que l’on a et celle que l’on donne, celle du peuple et celle du candidat.
En définitive, ce président réussit la prouesse de s’ériger à la fois en directeur de l’opinion du peuple, en lui disant ce qu’il faut croire et qu'il faut croire ce qu’il dit, puisque c’est la vérité et que tout le monde le sait, et en porte-parole de ce même peuple (plus exactement de la partie qui est susceptible d’être sensible à son discours) auquel il dit que tout le monde sait que c’est la vérité.
Mazette. C’est la vérité, alors, que populisme rime bien avec manipulation des masses ? Mais enfin, cela, tout le monde le sait déjà ! Il ne manquait qu’une démonstration de plus. Le président l’a faite avec brio, dirons-nous.
Dans un autre extrait du texte de Charles Dantzig, l’auteur résume bien la tartufferie populiste :
"Nous savons aussi que « peuple » est une usurpation de langage. Le peuple, c’est tout le monde, comme dans l’expression « le peuple français », ou c’est personne. Dans les temps de crise, certains politiciens s’entendent à donner l’appellation flatteuse de « peuple » à ceux qui souffrent ou craignent de souffrir, ou s’imaginent qu’ils souffrent. Le populisme donne une pureté factice à une portion fantasmée de la population. C’est la ruse des malins et la force des désespérés."
Point, à la ligne.