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22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 12:30

Lorsque j'ai écrit mon article intitulé "Camus à la sauce élyséenne", en août 2008,  pour dénoncer la récupération de l'écrivain Albert Camus par le locataire de l'Élysée à des fins politiciennes (il s'agissait à l'époque de piocher dans le vivier culturel méditerranéen afin de promouvoir le lancement de l'Union méditerranéenne), j'étais bien loin de me douter que l'auteur, entre autres, de "L'homme révolté", dans lequel il analysait la violence révolutionnaire et l'impact du nihilisme dans l'aboutissement des révoltes aux systèmes totalitaristes, serait de nouveau mis à contribution, à son corps défendant, dès l'année suivante, comme porte-drapeau dans le cadre de la vaste entreprise de promotion de l'identité nationale!

Comme chez tout citoyen ou presque, la question de la panthéonisation d'Albert Camus me laisserait de marbre si ce n'était les circonstances dans lequelles elle est soulevée. En quoi cela me regarderait-il? Après tout, Camus n'est plus là pour nous dire s'il aurait apprécié qu'en l'érigeant au rang des grands hommes méritant de la patrie, l'État lui rende un honneur qui ressemble paradoxalement à une entreprise de "canonisation républicaine".

Je me trouvais par hasard au Panthéon lors de la panthéonisation d'André Malraux. Devant le cercueil, la sculpture de Giacometti, L'homme qui marche.
C'était impressionnant. Et l'atmosphère était solennelle.
Pour ce qui est du Panthéon, on a du mal à imaginer que Camus, lui dont on dit qu'il aimait le soleil, aurait souhaité se retrouver dans cet endroit sombre et lugubre. Mais la question n'est pas là. La question, c'est celle de la fin et des moyens, et par là, du sens de cette entreprise de panthéonisation.

L
'an dernier, le locataire de l’Elysée avait invité au château la fille de Camus et des écrivains du pourtour de la Méditerranée à l’occasion du cinquantième anniversaire du prix Nobel de Camus, pour donner du panache à sa tentative de construction de l'Union méditerranéenne. Et voici que cette année, à l'occasion du soixantième anniversaire de la mort accidentelle de l'écrivain, le plus haut représentant de l'État a exprimé son souhait de faire exhumer de nouveau l'écrivain, cette fois au sens propre, pour le faire entrer au Panthéon sous prétexte que "ce serait un symbole extraordinaire". Et cela tombe, comme par hasard, en plein débat sur l'identité nationale.

Et pour l'aménagement des collectivités territoriales et la suppression de la taxe professionnelle? Vite, Albert, un petit effort ! Il doit bien y avoir quelque chose dans votre biographie ?! Parce que pour la commémoration de votre date de naissance, 1913, zut, alors! Quelle malchance, un an trop tard, sinon vous auriez pu servir pour les élections de 2012.  Dans son article 
publié dans Libération"Camus, l'homme bien révolté", Philippe Lan çon nous décrit Camus comme "libertaire, rétif à tout pouvoir et à toute bénédiction".  Il n'y a donc rien à faire?

Au fait, la panthéonisation de Camus, ce serait un "symbole extraordinaire" de quoi?
Et dans cette affaire, l'adjectif "extraordinaire" ne pèserait-il pas au moins autant que le mot "symbole" ? Un scoop, en somme ?

Camus est connu pour avoir été un intellectuel lucide, et comme le décrit si bien Philippe Lan
çon dans son article de Libération "Camus, l'homme bien révolté", "deux idées, et non deux utopies, lui servent concrètement, et en situation, d’amers : justice et liberté....Camus est un homme cohérent dans ses combats contre tout ce qui tue, viole, humilie, amoindrit l’homme." Même lorsque Camus recevra le prix Nobel de littérature en 1959, il ne déviera pas de ses préoccupations fondamentales.

Philippe Lancon ajoute d'ailleurs plus loin : "Camus n’est en aucun cas le «juste milieu» que des agents conservateurs ont voulu faire de lui. Il est libertaire, rétif à tout pouvoir et à toute bénédiction. Il a horreur des opportunistes, des moralistes en chambre - et des complaisants : «L’effort le plus épuisant de ma vie a été de juguler ma propre nature pour la faire servir à mes plus grands desseins. De loin en loin, de loin en loin seulement, j’y réussissais.» Carnets, 1959)." ( Le journaliste ne peut alors réprimer le souhait que notre président ait "la bonne idée de s’en inspirer .)

Voir Camus régulièrement détourné, récupéré à des fins politico-publicitaires, c'est bien le monde à l'envers et, c'est pourquoi,
maintenant qu'il est question de ramener en grandes pompes le "symbole" (de L'étranger?) Albert Camus au Panthéon des grands hommes, il me semble utile de rappeler, encore et toujours, certains propos de l'écrivain qui donnent à penser qu'il aurait vécu la "panthéonite" aiguë du président, au mieux comme un contresens intellectuel, au pire comme un déni de son oeuvre:

„À l’étape où je suis de mon expérience, je n’ai rien à épargner, ni parti, ni église, ni aucun des conformismes dont notre société meurt, rien que la vérité dans la mesure où je la connais. J’essaie en tout cas, solitaire ou non, de faire mon métier et si je le trouve parfois dur, c’est qu’il s’exerce principalement dans la si affreuse société intellectuelle où nous vivons, où l’on se fait un point d’honneur de la déloyauté, où le réflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coups de slogans, comme le chien de Pavlov salivait à coups de cloche et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour l’intelligence. Si l’écrivain tient à lire et à écouter ce qui se dit ou ce qui s’écrit, il ne sait plus alors à quel saint se vouer. Restez un artiste ou ayez honte de l’être, parlez ou taisez-vous et de toutes manières, vous serez condamnés. Que faire d’autre alors, sinon se fier à son étoile et continuer avec entêtement la marche aveugle, hésitante, qui est celle de tout artiste et qui le justifie quand-même, à la seule condition qu’il se fasse une idée juste, à la fois de la grandeur de son métier et de son infirmité personnelle. Cela revient souvent à mécontenter tout le monde. Je ne sais pas si j’ai donné trop ou pas assez de signatures, si je suis prince ou balayeur, mais je sais que j’ai essayé de respecter mon métier et je sais aussi que j’ai essayé plus particulièrement de respecter les mots que j’écrivais, puisqu’à travers eux, je voulais respecter ceux qui pouvaient les lire et que je ne voulais pas tromper. »

L'extrait ci-dessus suffirait à lui-seul à montrer le contresens que représente cette tentative de récupération d'un écrivain dont toute l'oeuvre s'acharnait à explorer les fondements de l'absurde attaché à la condition humaine et ses conséquences sur l'entreprise en partie désespérée des hommes à lui donner un sens.
Mais on peut se dire que dans ce projet de panthéonisation de Camus, l'écrivain aurait trouvé matière à plonger au plus profond dans l'exploration des mécanismes de l'absurde... Au bout du compte, l'absurde formerait-il le seul lien cohérent dans ce projet ?

Dans L'homme révolté, Camus, qui aimait citer à l'occasion La Princesse de Clèves nous dit, dans le chapitre Révolte et Art : "Mme de La Fayette a tiré la Princesse de Clèves de la plus frémissante des expériences. Elle est sans doute Mme de Clèves, et pourtant elle ne l'est point."

Il pourrait en être de même pour L'Étranger. Il est sans doute Albert Camus, et pourtant il ne l'est point. Mais cela a dû échapper à ceux qui ont soufflé au président l'idée de traîner la dépouille d'Albert Camus au Panthéon...
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commentaires

N
<br /> Panthéoniser Kafka? C'est vrai qu'il a écrit "Le Château"... mais il ne s'agit pas du même que celui du président et puis, il faudrait d'abord régulariser ses papiers à titre posthume pour qu'il<br /> soit digne d'être un "grand Francais", alors! En tout cas, lui aussi, comme Camus, il repose bien tranquillement dans le cimetière qui lui convient, en l'occurrence au cimetière juif qui surplombe<br /> la ville de Prague, j'y ai même fait un petit pèlerinage.<br /> <br /> <br />
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H
<br /> Ah oui le locataire Elyséen et Albert Camus : entre les 2 y'a pas photo et comme le titre le Canard enchaîné de ce mercredi 25 novembre<br /> "J'ai pas pu lire L'étranger, Besson l'a expulsé!". Pour atteindre un absurde point de non retour il ne lui reste plus qu'à panthéoniser Kafka. Il faut lire aussi dans le même Canard le paragraphe<br /> sur la légion d'honneur attribuée au Ch'ti David Hamidou...plus connu sous le nom de Dany Boon ( un nom bien français, pas du tout anglo-saxon, histoire de défendre une identité nationale par le<br /> petit bout de la lorgnette)<br /> Bon c'est pas le tout mais un sujet plus grave me taraude : a-t-on un vaccin en stock contre la grippe S ? après le virus de la grippe A, faudrait voir à attaquer le petit virus S... qui sévit en<br /> France.<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Comme disait François Bayrou (mais si, je le cite!ou à peu près!), ce matin ,sur France Inter: "qu'il doit être bon de reposer au soleil, au cimetière de Lourmarin".Pour avoir passé quelques<br /> moments à Lourmarin, je ne saurais que lui donner raison...<br /> <br /> <br />
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