Dans son article du Guardian consacré à la récente disparition de Patrick Swayze(voir photos), Joe Queenan dit de l'acteur "qu'à la manière de John Wayne, Swayze est devenu l'une de ces stars dont le talent d'acteur n'exerçait en fin de compte aucune influence sur sa popularité, parce que, comme John Wayne, il a fait beaucoup de films dont personne ne se souvient et une poignée de films que personne n'oubliera jamais." (voir un résumé de sa carrière en vidéoclips dans le Guardian)
On peut le dire comme cela. C'est d'ailleurs comme cela que je le ressens.
Ou encore, comme nous l'assure Bibi van der Zee, toujours dans le Guardian, son rôle dans le film "Point Break, extrême limite", où Swayze fait la fusion entre le "type cool que tout le monde admire" et "un mec dont la spiritualité est en phase avec un monde différent", pourrait représenter sa performance majeure. Et d'ajouter :
"He's so sincere it hurts." (il est tellement sincère que ça fait mal.)"
On peut aussi le dire comme cela. Et c'est bien comme cela qu'on le ressent, non?
Mais surtout, avant d'être un acteur, Patrick Swayze était un danseur de ballet. Et un sacré danseur. Jennifer Grey, sa partenaire dans Dirty Dancing, est sans doute celle qui lui a rendu le plus bel hommage en disant de lui que "Patrick était un mélange rare et magnifique de masculinité brute et de grâce incroyable". ("Patrick was a rare and beautiful combination of raw masculinity and amazing grace.")
On ne saurait mieux dire après avoir vu Dirty Dancing, dans lequel la formation de danseur de Swayze joue un rôle central.
Cette particularité de la carrière de Patrick Swayze, le quotidien britannique Guardian l'a d'ailleurs largement soulignée à la mort de l'acteur. Voilà un journal, et non des moindres, qui, par le nombre et la qualité des articles qu'il a consacrés à l'acteur - et contrairement à l'ensemble de la presse française peu encline à voir en lui autre chose qu'un acteur romantique médiocre - s'est résolument attaché à montrer que la carrière de Patrick Swayze ne se réduisait pas au rôle de coqueluche de la gent féminine. Rappelons à toutes fins utiles son interprétation glaçante d'un sinistre prédicateur dans "Donnie Darko" bien des années après sa performance remarquable dans le magnifique film de F. F. Coppola "Outsiders", aux côtés d'acteurs formidables comme Matt Dillon, Emilio Estevez, C. T. Howell et Rob Lowe, pour ne citer qu'eux.
Et que dire de son interprétation déjantée de playboy quinquagénaire et tête à claques dans le désopilant film anglais "Secrets de famille" "(titre original "Keeping Mum"), dans lequel il donne la réplique à Kristin Scott Thomas, Rowan Atkinson et Maggie Smith ! Il se lâche formidablement pour casser avec brio son image planétaire de héros romantique et c'est un PLAISIR d'assister au jeu de massacre. Assurément une des plus mémorables interprétations de l'acteur.
Avez-vous déjà entendu parler de "Swayzeness", ce concept nouveau que l'on peut lire dans le Guardian pour caractériser Patrick Swayze? Un mot qu'il suffit de dire à voix haute (Swayzinesss), pour palper la mélancolie troublée, douloureuse qui se cache quelque-part sous un physique puissant, à la fois tout en sensibilité et possédé par le démon de la danse. Tout cela, bien sûr, avant que Swayze ne soit régulièrement enfermé dans des rôles stéréotypés d'armoire à glace ("beefcake" ), alors qu'il fera tout pour en sortir (tentatives parfois réussies, notamment avec "Extravagances" : To Won Foo, Thanks For Everything).
Dans un autre article du Guardian, consacré aux techniques de danse de Swayze, Sanjoy Roy * nous explique ce qui faisait de Swayze ce partenaire unique qui a introduit une nouvelle forme de rapport romantique entre les personnages en intégrant dans son jeu les techniques de danse propres au ballet:
Dans Dirty Dancing, la danse symbolise la rencontre et "est clairement utilisée comme métaphore sexuelle" ...En devenant un couple de danseurs, Johnny et Frances "Baby" se rapprochent insensiblement l'un de l'autre et "deviennent également un couple sexuel". Mais pour que cela marche, il ne suffit pas à Swayze d'être sexy, "il lui faut établir un rapport physique sur la piste de danse, sinon, on ne croira pas que c'est là, dans la chambre, que ça se passe. Pour y arriver, la formation de danseur de Swayze est vitale".
Et si elle en est la clef, c'est notamment par la façon dont Swayze exploite son expérience de danseur, grâce à laquelle il a appris ce que veut dire le mot "partenaire" et comment fonctionne ce partenariat :
"Le duo homme-femme est la pierre angulaire du ballet. L'homme se met au service de la femme, la soutient, l'aide à s'exprimer, la soulève, forme le cadre qui l'entoure" ... "Traditionnellement, l'homme mène et la femme suit, mais l'objectif ici n'est pas le contrôle : comme dans le ballet pas de deux, l'homme est le terrain sur lequel elle brille."
Roy ajoute plus loin : "Regardez Swayze dans Dirty Dancing, et vous remarquerez cet élan d'attentions, cette concentration du regard : ses "yeux gourmands" fixés sur ceux de sa partenaire, sa concentration à lui sur sa performance à elle.
C'est à la fois puissamment romantique et profondément sexy et Swayze réussit la synthèse des deux, non par son jeu d'acteur, mais parce qu'il a appris ce que signifie la danse en duo".
Dans le film Ghost (1990), qui n'est certes pas un film de danse, il apparaît clairement que la scène culte (celle de la poterie) s'apparente à un numéro musical. Encore une fois, Swayze insère dans son jeu toutes les perceptions tirées de la danse en duo pour interpréter un homme concentré à tel point sur sa partenaire qu'il prolonge ce transport d'attentions même au-delà de sa propre mort".
Si l'on veut trouver une autre interprétation emblématique de cette fixation de l'esprit et du corps sur l'autre, intrinsèque à la danse en duo, il suffit de regarder Patrick Swayze danser avec sa femme, la danseuse et chorégraphe Lisa Niemi.
Il me revient à l'esprit une anecdote que j'ai lue, toujours dans un article du Guardian, après le décès de Patrick Swayze : l'auteur Joe Queenan commentait ce qu'il avait écrit un jour, à propos de la scène de Ghost dans laquelle le spectre effaré joué par Swayze se penchait sur son propre corps sans vie. Queenan disait ceci : "À l'époque, n'étant pas particulièrement impressionné par le talent d'acteur du danseur, j'avais écrit que l'idée de deux Patrick Swayze sur la même planète, voilà qui était presque trop à contempler pour l'esprit humain. Cela m'avait semblé alors un bon mot amusant. Mais aujourd'hui, ils sont des millions, qui comme moi, aimeraient sincèrement qu'il y ait un deuxième Patrick Swayze pour remplacer celui qui est mort hier."
Dommage qu'il ait fallu lui rendre cet hommage posthume si prématurément.
Swayzeness, ô Swayzeness.... just give me
One Last Dance
To PATRICK SWAYZE
Thanks for Everything
JULIE NEWMAR and Co !