Au départ, j'avais l'intention de traduire des extraits d’un entretien en allemand entre l’ancien Chancelier allemand Helmut Schmidt et la rédaction de l’hebdomadaire Die ZEIT*, dont Schmidt est également co-éditeur.
Ce faisant, je me suis aperçue que l’anecdote que je voulais rapporter nécessitait un petit retour sur le passé franco-allemand, notamment dans le contexte des relations désastreuses que vit actuellement le « couple » franco-allemand. Mais il est vrai que notre président de la République, obnubilé par son sens douteux de l’humour, s’entête à faire semblant de prendre le mot « couple » au pied de la lettre quand il y fait référence**, au grand dam des Allemands, comme ce fut le cas lors de son discours de remise du prix Charlemagne à Angela Merkel à Aix-la-Chapelle, destiné à récompenser l’engagement de la Chancelière allemande pour l’Europe.
Tout le monde s’accordera à dire qu’il faut évidemment des hommes politiques d’exception pour représenter un pays, notamment au niveau international.
Prenons le cas de l’Allemagne et faisons à cette occasion un petit rappel.
Helmut Schmidt, qui fut le Chancelier social-démocrate (SPD) de la République fédérale allemande de 1974 à 1982, est d’après de récents sondages l’homme politique le plus apprécié des Allemands, qui aiment chez ce vieux fumeur invétéré de 90 ans, mélomane et pianiste à ses heures, la rigueur de son analyse sur les problèmes de notre société et son humour pince sans rire (il a d’ailleurs la réputation d’un polémiste redoutable), qui déteste « l’esbroufe » ; ils apprécient surtout chez cet homme sûr de lui, mais dépourvu de toute vulgarité, la sobriété et la retenue dont il fait preuve dans l’expression de ses opinions, pourtant parfois tranchées. Pour les Allemands, de quelque bord politique ils puissent être, Helmut Schmidt fait ainsi figure de sage et aucun autre homme politique n’est autant respecté dans le pays.
Dans la mémoire des Français, il symbolise, notamment durant la période du « couple historique » qu’il formait avec Valéry Giscard d’Estaing, la constance de la coopération franco-allemande et la fonction de locomotive que le couple franco-allemand faisait à cette époque dans le cadre de la construction européenne.
Laissant à d’autres le soin de passer éventuellement en revue le contexte politique des années 70-80 (y a-t-il des Nains historiens dans la salle ?), je me contenterai d’évoquer l’image que j’avais déjà d’Helmut Schmidt à cette époque, quand j’étais encore enfant, lorsque toute la famille regardait les actualités à la télévision : celle d’un homme grave sans être austère, fumant constamment la pipe ou le cigare, photographié aux côtés de notre président de la République d’alors, Valéry Giscard d’Estaing, avec lequel, disait-on, il s’entendait bien. Je suppose que cela voulait dire en clair qu’ils se respectaient mutuellement. Cette image m’a marquée, pas autant bien sûr que celle de l’ancien chancelier Willy Brandt (1913-1992), s’agenouillant devant le mémorial du ghetto juif de Varsovie en 1970 en mémoire des victimes du nazisme. Bien qu’étant encore enfant, j’ai été très impressionnée par cet acte d’humilité fait par un homme politique qui assumait symboliquement à cet instant tout le poids des atrocités commises par les Nazis au nom de son pays. Ce geste fort était au-delà de toute demande de pardon et en le faisant, Willy Brandt prouvait que la grandeur d’un homme d’État s’exprime bien plus véritablement dans un acte d’humilité fait au nom de son pays que dans les ors, privilèges et fastes liés à sa fonction.
Mais dans le contexte de la politique-people que nous subissons quotidiennement dans certains pays européens, il semble qu'il ne reste souvent des politiciens que la médiatisation de leur geste le plus futile ou de leur (mauvais) bon mot.
Voici donc un extrait de l’entretien donné récemment par Helmut Schmidt dans DIE ZEIT* :
Die Zeit :
« Vous avez déjà reçu chez vous les hommes les plus puissants de la planète. Pourquoi teniez-vous tant à recevoir en privé des présidents et des aristocrates ? »
Helmut Schmidt :
« Parce que dans une atmosphère privée, les gens sont plus enclins à s’ouvrir à leur interlocuteur que lors de rencontres dans une salle de réunion, où l’on est entouré de nombreux diplomates des deux côtés de la table, qui notent scrupuleusement chaque mot prononcé. Et par ailleurs, dans le cas de certains invités, comme par exemple Brejnev, Giscard d’Estaing ou le président américain Gerald Ford, j'aimais bien également leur présenter la modestie petite bourgeoise de ma résidence.
Die Zeit :
N’est-on pas un peu gêné lorsqu’on invite à Langenhorn un aristocrate à l’air pédant comme Giscard d’Estaing ou bien le roi Juan Carlos, alors que ces derniers vivent dans des palais et non dans des bungalows ?
Helmut Schmidt :
« Mais pas du tout - bien au contraire ! Je ressentais une certaine fierté en leur montrant qu’on peut vivre tout aussi bien avec un train de vie beaucoup plus modeste."
Die Zeit :
Y a-t-il une partie d’échecs dont vous vous souvenez plus particulièrement ?
Helmut Schmidt :
« Non, mais je me souviens d’un jeu d’échecs pour lequel j’ai gardé une affection particulière. C’est un jeu que j'ai taillé moi-même dans le bois durant ma captivité quand j’étais prisonnier de guerre. Il mesurait à peu près 15 cm sur 15 cm, les cases noires étaient teintes avec de l’ersatz de café. Dans chaque case, il y avait un trou ; ainsi, on pouvait y enfoncer les petites figurines en bois. J’ai ramené ce jeu à la maison, il se trouve encore aujourd’hui quelque part dans une armoire. »
*Entretien donné cette semaine dans la partie magazine de DIE ZEIT n°48, intitulée « Le temps d’une cigarette avec Helmut Schmidt – sur les parties d’échecs avec son épouse et des hommes puissants de la planète»
** Remis à Angela Merkel le 1er mai 200, le prix Charlemagne est une distinction qui récompense les personnalités les plus engagées dans l’unification européenne. Pendant le discours prononcé à cette occasion par notre président de la République, ce dernier a fait une blague douteuse sur le couple qu’il forme avec Angela Merkel et ce, en s’adressant au deuxième mari de Madame Merkel, qu’il a appelé Monsieur Merkel, alors que Merkel est le nom de son premier mari ! Inutile de dire que l’auditoire allemand était un peu « interloqué »….
Voici l’extrait en question (article du Nouvel Observateur-01-05-2008 – intitulé : « Sarkozy fait l’éloge d’Angela Merkel) :
"La presse parle beaucoup de notre couple", a-t-il remarqué en se tournant vers l'époux d'Angela Merkel, Joachim Sauer, qu'il a appelé "M. Merkel", le nom du premier mari de la chancelière dont elle a divorcé.
"Je voudrais lui dire de ne pas croire ce qu'écrivent les journaux. J'aime Angela Merkel beaucoup plus que ce qu'ils disent", a-t-il assuré.
"En douze mois (...) nous nous sommes vus douze fois et compte tenu de son emploi du temps, je suis prêt - M. Merkel - à comparer nos agendas. Angela et moi nous formons un couple harmonieux!", a-t-il insisté.